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SYMÉTRIES IMPROBABLES DE MARCELLO PIETRANTONI

Le principe de symétrie correspond à une aspiration humaine d'ordre ou de totalité, il en est de même pour les symétries géométriques et les symétries répétitives, car elles correspondent aux différentes facettes de la personnalité, elles sont les différentes expressions de cette aspiration à la globalité. Ces deux types de symétrie recomposent les fragments de la personnalité, ses facettes dans un modèle qui est métaphoriquement fermé et déterminé. Cette opération que l'individu effectue sur lui-même, est destinée, dans le meilleur des cas, dans la meilleure des hypothèses, à demeurer inaccomplie. Les contrastes entre les différents aspects, les différents fragments de la personnalité et l'aspiration à une configuration symétrique fixe, constitue un contraste éternel qu'on ne peut dépasser. Par le biais de l'aspiration à la répétitivité ou à l'action, l'individu échappe à la peur du nouveau, il est dans l'illusion du dépassement de cette peur comme il est dans l'illusion d'échapper à l'angoisse du vide. La fuite est simple. Il suffit de répéter les comportements standards dans des situations connues, puisque ces comportements standards dans chaque situation sont codifiés par l'usage. L'aspiration opposée, c'est la rupture du modèle de la répétition qui répond aux besoins de rompre ou de détruire chaque diaphragme qui nous cache l'inconnu, tout en remplissant, instant après instant, le vide qui nous angoisse.

Pendant longtemps la symétrie fut considérée comme une représentation de l'équilibre parfait. « La symétrie représente, dans la mythologie des peuples cultivés, la situation de paradis terrestre réalisé. Platon, raconte, dans « Le Banquet » qu'Aristophane considérait la symétrie comme modèle anthropomorphique ... » (Bruno D'Amore). Le dos des hommes et leur flanc formant un cercle, Zeus enragé de tant d'harmonie, de tant d'orgueil, les coupe en deux, puis, ouvre vers l'extérieur les parties découpées, les retourne pour donner au visage et à l'appareil génital ses formes actuelles. La chimie moderne démontre que l'asymétrie, et non la symétrie, comme on l'a pensé pendant des siècles, est la condition naturelle dans laquelle un phénomène se dispose. Bruno d'Amore écrit encore: «La symétrie, celle qui nous donne l'idée de perfection, peut donc être pensée seulement comme trait d'union qui nous porte vers la complexité mathématique de l'asymétrie» . L'asymétrie, en perspective, semble devenir l'organisation potentielle de l'ordre naturel sans proportion divine. Elle deviendrait la proportion normale comme dans certains phénomènes de la chimie qui relègue la proportionalité, les règles de la symétrie géometrique, aux phénomènes artificiels, aux constructions de l'homme. Certains travaux de Marcello Pietrantoni, ceux qui concernent la disproportions divine (De quadam ratione impari pari ac rebus divinis) deviennent, dans leurs conséquences, la représentation profane de l'ordre plus caché, asymétrique du monde. Parler de symétrie signifie poser des problèmes de terminologie. Dans une rencontre sur la symétrie qui eut lieu à la Fondatione Cini à Venise, il y a assez d'années, il fut observé que: « ... chercher une dénotation commune entre le concept de symétrie utilisé en physique contemporaine et celui qui est intégré dans un discours ordinaire, est une entreprise tellement difficile, qu'à première vue, elle apparaît presque désespérée » (Evandro Agazzi). Cette interrogation que pose l'auteur à propos de l'usage par la physique du terme de symétrie est une question d'intérêt. Dans cette même rencontre, Jacques Nicolle donne des définitions pertinantes: «Un corps est symétrique s'il possède un certain élément de symétrie: axe, plan, centre .... Un corps est asymétrique s'il n'a aucun élément de symétrie». Dans ce propos, l'idée n'est pas d'épiloguer à propos des corps symétriques et asymétriques, ni d'introduire le concept plus moderne de disymétrie, mais de nous référer à des modèles symétriques ou asymétriques bien connus des physiciens. En physique on tend à utiliser une symétrie qui repose sur le concept d'invariante sur celui de la répétition, cette symétrie se caractérise « par la possibilité de se reposer d'un élément à un autre, avec un mouvement de translation espace-temps » (Jeanne Hersch). Elle appelle symétrie architecturale, un autre modèle de symétrie: qu'il s'agisse de nos deux mains ou du fronton d'un palais, les deux éléments symétriques sont pas superposables, mais semblables. En perspective, même si la recherche scientifique met en valeur des asymétries naturelles, il est correct d'affirmer comme Max Bense: « … que la symétrie des processus esthétiques est une symétrie improbable ». Après avoir fait une distinction fondamentale entre le processus physique et le processus esthétique, Bense relie le premier à une pure régularité et le deuxième à une tendance symétrique et, pour ce processus esthétique, il parle d'improbabilité de la symétrie. Cela implique que les symétries de la nature ont une probabilité élevée de se vérifier.


Ces deux artifices, ces deux phénomènes artificiels, l'art et la technique, nécessitent l'élaboration d'une symétrie qui, même en exploitant les lois de la nature (les lois de la mécanique par exemple) ait une fonction pour l'art ou pour la technique, c'est une symétrie improbable. Mais, c'est dans le phénomène artistique que cette improbabilité tend à un maximum (la probabilité que la symétrie instaure dans le phénomène artistique, dans sa capacité à se vérifier, tend au minimum), c'est l'artiste qui rend cela possible en construisant et détruisant sans cesse le modèle symétrique pré-existant. Dans ce travail de construction/destruction, l'artiste se confronte inévitablement aux symétries naturelles, aux symétries probables. Dans une analyse du caché, ou plus simplement quand on s'occupe du propre moi, on découvre que ... entre notre moi et nous existe un conflit permanent entre une configuration, une aspiration symétrique d'équilibre, et une asymétrie de friction. Dans l'élaboration de symétrie improbable existe ce conflit, à condition que soit compris le processus artistique qui catalyse ce moment oscillatoire entre configuration symétrique et configuration asymétrique. Autrement dit, leur fonction est aussi celle de participer à la dynamique du doute. Ce doute insinue la stimulation du sens critique, il s'agit du doute potentiel, il n'y a pas de doute cartésien qui exige la preuve du contraire, mais le doute continu, le doute de la méthode.

Dans la pratique, Pietrantoni, dans élaboration des symétries improbables, comment insère-t-il le doute, comment insère-t-il cette oscillation? Sa recherche procède par découvertes successives à la fois absurdes (avec une figuration existante ou non existante) en extrayant chaque objet de son contexte. Il peut s'agir d'un objet architectural ou non, mais dans les deux cas le but ne change pas: privilégier le sens du signe, individuer la vitalité de ce dernier, son signifié autonome, enfin, lire ce signe dans un modèle symétrique. Autrement dit, au delà du signe, il y a l'autre signe avec ses signifiés cachés, ses coïncidences où le hasard se manifeste. On en arrive à la symétrie improbable, mais il est plus juste d'employer le terme de « symétrie » unie au problème de l'interprétation et de la communication. Devant une oeuvre d'art, il existe un moment précis où la communication et l'interprétation deviennent possibles. Qui regarde l'oeuvre est, si l'on veut, sujet à une sorte de transfert qui légitime alors l'usage du concept de timing. Ce dernier concept, selon Salomon Resnik qui en remarque l'importance: « … correspond à la notion de l'instant précis où la communication trouve sa place et sa manière d'être ». Ce que dit Resnik est suggestif, en faisant l'analyse qu'entre communication et interprétation, cette dernière est une négociation (ou échange) entre un discours exprimé et sa représentation: «Le mot interprétation signifie négocier entre un certain discours parlé, écrit, exprimé ... et sa représentation explicite ».

Pietrantoni, quand il dessine, quand il fait des projets de dimensions improbables et cachées d'objets qui historiquement ont une existence (comme la Villa Allegonda, objet réalisé en Hollande en 1927 par Pieter Oud), interprète des signes connus d'un objet pour en découvrir les signes inconnus, il négocie entre un discours exprimé, existant et sa représentation. Dans la construction de symétries improbables, c'est l'homme qui fait la morphologie dans laquelle il travaille. D'un point de vue épistémologique, l'art est une discipline expérimentale. «Dans l'art de peindre, l'homme peut créer la morphologie étudiée ou, au moins intervenir dans son devenir ...» (René Thom).

Quand il produisait une peinture informelle, il explorait les différentes possibilités interprétatives offertes par le concept de symétrie. Dans le devenir de la création artistique, il a de chaque signe entrevu la mise en pose dans une implantation symétrique. Il s'agit d'un signe tautologique, d'un signe d'architecture ou d'un signe de peinture, comme il le précise lui-même: « la tautologie respecte le signe pour ce qu'il est, la signification du signe ne m'appartient plus, elle reste la vitalité du signe même ». Dans cette conception du signe, Giorgio Cortenova écrivait: « Le signe nait seulement et simplement pour être un signe: communiquer sans communiquer de ce qui ne soit pas sa propre existence et intériorité ». Et, chez Pietrantoni, les signes ont aussi les caractéristiques de l'unité de mesure, mesure de dimension qu'en apparence on ne voit pas, parce qu'elle n'est peut être pas fonctionnelle pour l'utilisation concrète de certains object, dimension qui n'en existe pas moins. L'implantation symétrique est le modèle où chaque signe trouve une référence, mais la mesure, la recherche de la dimension inconnue moyennant le signe même, implique de la part de ce dernier une concession autonome, autosignifiante. Il ne faut pas s'étonner que Pietrantoni donne une importance fondamentale au concept de la dimension en le privilégiant sur ce point (abstrait) de l'espace. Ici et là, la dimension est la mesure, est l'ensemble des relations des éléments qui composent les symétries improbables. Avec le signe, on fait violence à l'espace, on présuppose (ou parfois on détermine) un contenu, on découvre quelque chose, on dépasse l'angoisse du vide. Le signe architectural existe à partir du moment où s'affirme concrètement la dimension. Il arrive quelque chose de très semblable pour le signe de la peinture. Ici, c'est une conception du signe ouvert qui libère des expressions potentielles totalisantes.

L'oeuvre d'art comme système de signes, possède en soi un énorme potentiel d'information. Chaque objet contient, conserve sa valeur en mémoire, et la symétrie s'apparente à une méthode de recherche. Le travail ou la recherche sur un objet préexistant, recherche à partir de laquelle on obtient une oeuvre d'art (par exemple L'oeuvre entre l'histoire et l'apparence di monde, 1978), est une recherche des symétries improblables de l'objet d'architecture connu, comme la Villa Allegonda un classique du mouvement De Stijl bâti par Pieter Oud à Katwijk aan Zee, Pays-Bas, en 1927, dans laquelle Oud s'inspira d'une idée du peintre Kamerling Onnes. Pietrantoni avait réuni une documentation importante comme le numéro 16, 1977 de la revue Lotus . La Villa Allegonda lui donne une impression de force et de clarté: quelles sont les informations cachées dans cet objet architectural connu? Que conserve la mémoire de la Villa Allegonda? Pietrantoni effectue une investigation des improbabilités architecturales, des signes absurdes parce que non fonctionnels, mais qui sont révélés par cette maison au moins d'un point de vue potentiel. L'investigation est exécutée avec les moyens de l'art; il dessine des modifications successives du projet de Oud, il passe au travers des limites de la technicité que la Villa Allegonda, en tant que maison, implique, il dépasse les apparences du signe architectural fini. La symétrie considérée comme la géométrie de l'impossible (plus vue que réalisée, plus imaginée que dessinée) est surtout ici une méthode de travail.

Ce discours est aussi valable pour Archiostra (un projet de Pietrantoni qu'il présente en 1960) où la symétrie est entre les formes d'une référence aux organes génitaux des deux sexes. En un certain sens, Archiostra est un projet d'architecture androgyne, où l'union entre les opposés complémentaires aspire à une dimension cosmique. L'improbabilité d'une pareille symétrie ne peut se séparer d'un certain archétype individuel, et quand on pose le problème des limites entre l'histoire et les apparences du monde, on ne peut oublier « … que le monde intérieur et le monde extérieur n'existent pas d'eux-mêmes, mais qu'ils se définissent dans une relation de réciprocité (Resnik). Monde intérieur et monde extérieur, " leur histoire et leur apparence ", ne se concrétisent que dans une relation du self de l'auteur du projet avec le monde extérieur. Et, d'ailleurs, s'il existe aujourd'hui une mémoire de l'objet défini par la mémoire elle-même, il existe un self primitif, un self possesif de l'objet aimé, l'object devient une extension, une amplification du self. Ce dernier self, qui rentre en l'amplifiant dans le self primitif de l'objet, rentre dans une dimension mystérieuse, chargée de coïncidences apparamment inexplicables. De l'autre côté, pour conclure avec Resnik, self vient du celtique ancien selva ... Si, en tant qu'architecte, Pietrantoni réalise une architecture non orthodoxe, il faut préciser qu'il le fait plus comme un devoir. Comme il tend à récupérer les possibilités les moins explorées du signe architectural primordial, il n'est pas incorrect, à son égard de considerer, dans cette vision de la recherche, un intérêt anthropologique. «...Après avoir abandonné l'illusion de communiquer en réalisant des projets, écrit Alessandro Mendini à propos de Pietrantoni, dans sa recherche [il] trouve des solutions dans un no man's land qui se localise entre l'architecture, l'art et la pensée».


Il subsiste des coïncidences entre des recherches différentes et, pour Piétrantoni, la recherche des coïncidences, leur mise à feu, est une constante méthodologique. Du hasard et de ses aspects combinatoires ou de ses caractéristiques, il s'y intéresse surtout par la non prévoyance et la monstruosité. Il y a un monde, un univers par delà le hasard, et Pietrantoni précise toujours cette recherche de coïncidences dans des travaux spécifiques (L'au-delà du hasard, 1978). La recherche ne s'arrête pas aux coïncidences puisqu'il ne renonce pas à s'attacher au principe de symétrie. Comment ce principe de symétrie fonctionne-t-il et comment ses travaux suggèrentils l'au-delà du hasard, dans une observation des coïncidences qui se manifestent lorqu'un hasard se produit? C'est que, d'après Jacques Monod, le hasard intervient dans la modification des phénomènes, et que « … chaque évènement provoque des inter réactions qui composent un système » (Monod). Et, toujours selon ce même auteur, ceci n'est pas incompatible avec l'idée que « … dans les structures de l'univers, il existe des réalités immuables ». Par cette idée Pietrantoni pose le problème du libre arbitre de l'homme face au destin, un destin non prédéterminé, non écrit, le hasard. Cette position humaine paraît être, d'après nos connaissances, asymétrique, ici Pietrantoni pose un problème analogue avec le parcours de la mémoire oubliée (De itineribus quae e memoria exierunt, 1978). Ici, dans une existence entièrement présente, on considère deux mémoires, la mémoire prénatale (le passé) et le sens du destin (le futur).

La recherche des parcours oubliés est aussi la recherche des objets qui ont caractérisé ces parcours, c'est aussi, et surtout, la recherche de relation, des rapports entre les objets aux-mêmes. Le sens du parcours est donné par les objets, dans la mémoire des coïncidences qui ont provoqué l'oubli de la mémoire. Le moment tragique entre effet et cause, entre psyché et le destin avec le bagage des coïncidences annexes, Pietrantoni le repropose encore en 1978, dans un itinéraires de nomades autour d'un lac, itinéraire signé par des étapes et des rituels obligatoires. Dans Le lac blanc, l'aiguille noire, il se confronte avec l'inconnu, avec le divers. L'aiguille noire donne la direction au parcours autour du lac blanc. Les actes rituel et répétitifs accomplis par les nomades sont une rencontre de structure religieuse. Cette expérience appelle à un sens religieux en vertu des rencontres de l'auteur avec des matériaux avec lesquels il s'est mesuré.

La symétrie de base est élémentaire: les photographies d'un côté (la cause, le rôle du nomade, l'art du nomade ...) et l'interprétation dessinée de l'autre (analyse psychique des causes). La symétrie s'associe avec l'analyse du profond, le savoir selon Pietrantoni, n'est pas impuissant face au destin, comprendre est une expression vitale. Cette confrontation différente avec l'inconnu est un aspect original de la culture de notre époque. Confrontée à des expériences rituelles, répétitives des nomades, en liaison avec nos parcours d'individu contemporain, elle ne se limite pas à relever des frictions générales, elle donne l'impression de choses anéanties, d'évènements qui après avoir libéré un potentiel d'énergie tendent à leur propre élimination. Ceci rejoint le sens de la mort de notre temps. Le protagoniste de la narration, de la représentation sacrée dans ce cas, est l'attente, «Les photos - comme l'exprime Pietrantoni - sont aussi des citations, mieux encore des associations en référence à l'évènement qui s'est produit. Le dessin suggère l'événement arrivé, il ne le révèle pas, bien évidemment ». D'ici l'attente ... L'attente nous met dans un équilibre précaire: dans le système de l'univers qui dégénère vers le chaos, ce qui n'est pas incompatible avec l'autre conception du « système du champ et de particules dans l'inter réaction qui change sans évoluer ... » (David Layzer). L'aiguille noire ne se limite pas à signaler des relations entre des éléments valables du parcours, Layzer en explicite l'idée, l'aiguille noire tend vers des « lois qui définissent ce qui est possible, aux limites que prennent les formes soumises à des conditions initiales, des conditions de limite, des conditions de symétrie ». L'histoire, à l'exception de l'attente, n'a pas d'autre protagoniste. Pietrantoni élabore des symétries improbables, violant le parcours des nomades dont l'aiguille noire est devenue folle. La direction de l'aiguille noire est notre profond, avec les étapes rituelles opportunes et codifiées, nous tournons autour du lac blanc.

Comment désorganiser une telle organisation? Pietrantoni s'est aussi interrogé, dans une série de travaux, sur la divine disproportion (De quadam ratione impari pari ac rebus divinis, 1977). Dans cette oeuvre, il affirme cette interrogation cette «désorganisation », cette contraction, cette expansion, toutes imprévoyables et que les espaces et les formes ont en contradiction avec le Temps. Comment peut-on poser tout cela dans un parcours qui se détermine au delà de nous et d'après les coïncidences du hasard? Cette question, de fait revient à une autre: quelle marge de liberté avons nous, quelle est notre marge de chance de survie autor du lac blanc? Voir l'architecture plus que la faire, correspond à un choix de méthode, à un cri poussé dans le désert, mais c'est l'unique attitude quand dans une projection on entend récupérer des niveaux improbables et mystérieux, inconnus du projet. Le mystère se cache dans le projet: Pietrantoni se propose de le porter à la lumière du jour. Sa recherche est aussi archéologique. Il s'agit d'une archéologie du signe caché. L'objet de l'analyse est un rapport, plusieurs rapports, celui du monde des réalités artificielles (une technique) et le monde de l'imagination, celui de l'histoire et des apparences du monde. Le premier fait écho à un travail de Pietrantoni réalisé de 1971 à 1974 (L'architettura disegnata nello spazio della psiche - L'architecture dessinée dans l'espace de la psyché), le deuxième à Archiostra et aux études et analyses de la Villa Allegonda. Cette aliénation entre les éléments et l'élément du rapport, entre l'image réelle (historique) et l'image virtuelle du monde, ces aliénations, à la fin, deviennent nécessaires à la définition dynamique de l'individu. Les dimensions inconnues d'un projet originaire donné contiennent des niveaux inconnus, Pietrantoni les met en évidence en dessinant ses projets improbables qui sont des niveaux de symétrie. C'est une symétrie non géométrique, qui par sa nature n'est pas répétitive, une géométrie qui, selon les affirmations des mathématiciens, ne connaît pas de signe qui puisse faire la distinction entre la gauche et la droite (Alberta de Flora). Cela rejont l'auteur classique de la symétrie (Hermann Weyl) dans cet énoncé où l'origine de la distinction entre droite et gauche, à partir de la symétrie de Kant, prend un caractère combinatoire. Le signe, que Pietrantoni ajoute au projet originaire en le bouleversant, en le transformant en un système de signes donc une oeuvre autonome et autosignifiante, n'augmente pas la qualité d'information potentielle e du projet originaire, il contient les informations que l'objet cache dans sa mémoire.


Ainsi, la mort, ou le sens de la mort, est un terme de comparaison efficace, une unité de mesure. Entre la mémoire des objets crées dans le passé et leur orientation présente et progressive, Pietrantoni mesure le rapport par ce sens de la mort. La mort de ces objets n'est pas seulement leur anéantissement physique, leur devenir en poussière, mais leur condamnation à une totale incommunicabilité spatiale. Dans certains de ses travaux (Le stanze della coscienza - Les chambres de la conscience, 1976) il évoque Baudelaire quand à propos de Poe il écrivait: «… l'artiste des nerfs et de quelque chose d'autre encore …». Dans ces chambres de la conscience Pietrantoni rappelle des atmosphères pour rejoindre une nouvelle fois Max Bense dans « … cet anéantissement qui en dehors du fait de sa différence est plus important que la phase de transition. Il est dans un certain sens une nouveauté …». Bense, après avoir exprimé que nous vivons dans un monde de la physique nucléaire, relie cet anéantissement au sens de la mort. Dans Eureka, souligne Bense, Poe ajoute: « Dans l'unité originaire de la chose première, il y a l'origine de toutes les choses ensemble, la prédisposition à leur inévitable anéantissement ». Pour Pietrantoni, ce qui est dans Poe inévitable, devient un cas de hasard que l'on peut vérifier. En étant artiste, il fait l'investigation des formes lucidement :« La beauté est le produit de la raison et du calcul » (Baudelaire). Projeter, en les dessinant, des objets, c'est une manière de quète de sa propre personnalité ou de découverte de ce que nous aimons et ne connaissons pas. Dans 15 Oggetti per l'architettura separate - 15 Objets pour l'architecture séparée (1974-75), Pietrantoni repose la question du voir et du faire dans l'architecture, mais dans ce contexte, voir l'architecture, en réalisant le projet, ne correspond pas à une recherche sur le signe, c'est-à-dire sur ce quelque chose qui est à l'extérieur et qui fait le projet, mais cela signifie voir en soi-même, analyser sa propre profondeur pendant la réalisation du projet.

Dans ce projet des 15 objets (différents de ces objets ont été réalisés après), il s'agit d'une méthode d'autoanalyse: ce ne sont pas seulement des objets de design bizarres, la réalisation est symétriquement improbable. Pour Pietrantoni, ces objets sont des totems parce qu'ils n'ont pas d'équivalent dans l'espace. Dans toute sa practique il y a un projet. Ainsi, à partir de 1957 jusqu'en 1962, quand il fait de la peinture proche de l'informel (on a parlé à son propos de peinture post-informelle), il se préocupe de toujours donner à ses oeuvres une structure, il cherche à discerner le signe de la peinture inséré dans un modèle exact, dans une implantation géométrique. Cette dernière attitude, et c'est plus qu'une question de chronologie qui lui vaut cette définition de peinture post-informelle, cache des préocupations dont il prend conscience. Cette aspiration à construire, cette volonté du projet, de découvrir quelque chose de caché en le réalisant, tout cela était déjà présent chez Pietrantoni dans l'exigence de procéder à l'analyse du rapport entre les matériaux et les paramètres du langage, entre matériaux et forme, entre les matériaux eux-mêmes. Bien au contraire ces analyses de ces rapports constituèrent le terrain sur lequel il commença sa recherche, sa création de systèmes de signes (une oeuvre) insérant chaque signe dans une implantation abstraite, mais connue du point de vue de l'intuition. Un peintre classique de l'informel, Georges Mathieu, a écrit avec des mots différents les préocupations de Pietrantoni: «A toute époque la décadence de la culture s'est manifestée en trois phases: la sclérose, le pompièrisme et enfin la dissolution des formes ...». Ces trois moments, sclérose, pompièrisme, dissolution des formes, Pietrantoni les a souvent réunis dans un jeu qui se situe entre le macabre et la chronique journalistique, jeu simultané déjà présent dans sa peinture post-informelle et dans les périodes successives de son oeuvre. En ce qui concerne le signe, Mathieu parle de la séquence, du style, de l'académisme, du baroque, de la destruction. En intervenant aussi dans le processus de déconstruction du signe, l'intervention de Pietrantoni s'opère dans une phase où le signe tend à sa dissolution, de manière à rendre à la lumière du jour ses qualités cachées encore non explorées. Pierre Restany écrit: «Le combine-drawing de Pietrantoni … représente un combiné sténographique extremement non joué parce que non fonctionnel (...). Dans le jeu de Pietrantoni, l'échange réciproque est porté jusqu'aux limites de la destruction de l'Autre (le public), et voilà, tout cela parce que l'artiste sait simuler la mort avec tant de finesse, la mort dans un temps et la posta et le nondit de son jeu ». Le jeu, qui équivaut à l'amusement plus la libido, Pietrantoni ne l'envisage pas objectivement tragique. Le jeu devient tragique à cause de l'absence du public, l'Autre. L'histoire, comme dans Lago bianco l'ago nero (Le lac blanc l'aiguille noire), est sans protagonistes, sans acteurs, parce que au moins du point de vue métaphorique, il n'y a pas de partenaire. L'absence de l'Autre affole l'aiguille noire qui nous fait tourner autour du lac blanc. L'unique protagoniste tangibile, même si on en ignore les signes qui la distingue. est l'attente. Et chercher, comme le fait Pietrantoni à connaître ces signes cachés d'un projet, ces symétries improbables, c'est une tentative noblement vaine de remplir le temps et l'espace de cette attente. pour caractériser l'Autre, pour nous redécouvrir par le biais de cette redécouverte de l'Autre.

«La vie n'est là que pour mémoire » écrit Maurice Roche, et Pietrantoni croit au hasard et à la mémoire des objets, à leur mesuration, à la mesure des rapports entre objets et objets, entre les objets et ce qui nous porte à identifier les dimensions du temps et de l'espace originaire de notre époque. Pietrantoni est anti-humaniste: « … il l'est superbement à la manière de Nietzsche, dont le jeu tragique exclut chaque dialectique entre le sérieux et le non-sérieux ... » (Restany).


D'un côté, l'angoisse provoqué par la participation à une réalité donne l'illusion d'échapper à l'anéantissement des choses en le pétrifiant un certain moment, en se procurant l'illusion de rendre statique un processus qui par son essence et sa dynamique tend à la dissolution. D'un autre côté, se manifeste la merveille que chaque chercheur, que chaque esprit critique éprouve quand il découvre la potentialité cachée, le « langage secret », les signes, les choses, les objets dont on ne connait que les aspects apparents: cette merveille vient à propos! En équilibre entre ces deux attitudes, Pietrantoni démontre tout l'humour du grand prestigiditateur, sceptique vis à vis de ce truc parce qu'il sait qu'il s'agit d'un truc, dans la conscience de le faire à la perfection puisque le jeu est inévitable. Truc, symétrie artificielle ou logique demeure et se définit dans une nécessité fonctionnelle des trucs dits déséquilibrants. Il extrait le tableau du cadre, l'oeuvre de son contexte habituel, le signe pictural du projet originaire. Ce qui l'intéresse après l'extraction du cadre, c'est la mise à feu de chaque existance possible du signe, de chaque symétrie improbable du projet. A côté du truc de prestigiditateur, au truc de l'artiste, il y a le truc de l'histoire ou mieux, la documentation. Le schede d'archivio - Les formulaires d'archiviste qui sont des pièces accidentales et insérées sans ordre apparent dans le texte. C'est presque un contrepoint diabolique hors de la logique (au moins en apparence!) d'un travail exécuté (en apparence?) avec une lucidité détachée.

Les formulaires d'archiviste sont aussi une manière d'ironiser sur les valeurs autonomes, sur la vitalité des objets trouvés: les formulaires d'archiviste définissent les fragments de réalités pétrifiées. Si ils ont une logique, un reflet, ce sont des corps célestes froids, sans lumière intérieure, sans aucune forme de vie; ils se nourrissait de reflets, illuminées par quelques corps extérieurs qui, néanmoins se déplacent selon un ordre. Ils possèdent une orbite… Le hasard marque la retrouvaille de ces fiches, de ces formulaires d'archiviste, de ces documents de réalités pétrifiées; c'est le hasard de la loi homonyme, de la loi qui précède l'ordre du monde. Ce sont des hasards au travers desquels Pietrantoni invite à la recherches des coïncidences, l'au delà du hasard, les raisons du parcours rituel de l'orbite. Les formulaires d'archiviste sont plus que des prétentions de témoignage d'une réalité historique, ce sont des documents improbables, des symétries inusitées, des incitations que Pietrantoni nous lance pour participer à un processus immanent de projet.

Franco Torriani, 1979

Version française: Angéline Neveu